Pour la chambre sociale de la Cour de cassation, un accord de substitution peut entrer en vigueur et remplacer l’accord dénoncé avant l’expiration du préavis de dénonciation.
Une solution rendue dans un cadre juridique antérieur à la loi Travail…
Selon l’article L 2261-10 du Code du travail, en cas de dénonciation par tous les signataires, employeurs ou salariés, la convention ou l’accord dénoncé reste applicable jusqu’à l’entrée en vigueur de la convention ou de l’accord le remplaçant (accord de substitution) ou, à défaut, pendant une durée d’un an à compter de l’expiration du préavis, sauf clause prévoyant une durée déterminée supérieure.
Dans sa version antérieure à la loi Travail du 8 août 2016, le texte prévoyait en outre qu’une nouvelle négociation devait s’engager dans les 3 mois suivant la date de la dénonciation.
Deux délais successifs sont ainsi prévus : un premier délai (de 3 mois) courant à partir de la notification de la dénonciation (préavis de dénonciation) ; puis un second délai pendant lequel, bien que la dénonciation soit devenue effective, l’accord dénoncé survit par l’effet de la loi jusqu’à la signature d’un accord de substitution, ou à défaut, pendant un an.
En pratique, il arrivait que les partenaires sociaux engagent des négociations dès la notification de la dénonciation et que celles-ci débouchent sur la conclusion d’un accord avant l’expiration du préavis de dénonciation.
La question s’est donc posée de savoir si, dans cette hypothèse, le nouvel accord remplaçait, dès sa conclusion, l’accord dénoncé, si les deux accords devaient s’appliquer concurremment jusqu’à l’expiration du préavis de dénonciation, ou si l’accord dénoncé devait seul s’appliquer jusqu’au terme du préavis, pour ensuite être remplacé par l’accord de substitution.
Par un arrêt du 7 janvier 1997, la Cour de cassation avait retenu cette dernière solution, en jugeant qu’un accord de substitution à un accord collectif dénoncé ne pouvait pas entrer en vigueur et remplacer l’accord dénoncé avant l’expiration du préavis (Cass. soc. 7-1-1997 n° 93-45.664 P : RJS 2/97 n° 186).
La portée de cette décision, isolée, demeurait toutefois incertaine.
D’une part, la conclusion d’un accord de substitution avant l’expiration du délai de préavis ne semblait pas interdite - la Cour l’avait d’ailleurs admis dans un arrêt ultérieur concernant une opération de restructuration (Cass. soc. 13-10-2010 n° 09-13.109 FS-PB : RJS 12 /10 n° 946) - sous réserve de prévoir une entrée en vigueur après l’expiration du préavis de dénonciation.
D’autre part, dans un arrêt du 28 octobre 2015, la Cour de cassation avait admis l’application d’un accord de substitution avant la réalisation de l’événement entraînant la mise en cause, en l’espèce une opération de restructuration (Cass. soc. 28-10-2015 n° 14-16.043 FS-PB), ce qui impliquait nécessairement son application avant l’expiration du préavis de 3 mois.
L’arrêt du 6 juin 2018, destiné à être publié dans le bulletin d’information de la Cour de cassation ainsi qu’aux bulletins des arrêts des chambres civiles, s’inscrit dans la ligne droite de ces solutions.
Il a le mérite de clarifier la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de dénonciation.
En l’espèce, un salarié licencié le 23 février 2011 reprochait à son ancien employeur de ne pas avoir appliqué la procédure spéciale de licenciement disciplinaire prévue par la convention collective de la fédération du Crédit mutuel méditerranéen.
L’employeur considérait en effet que ces dispositions n’étaient plus applicables dans la mesure où un accord collectif de substitution, conclu le 9 décembre 2010, était entré en vigueur le 1er janvier 2011.
Pour faire droit à la demande du salarié, la cour d’appel a procédé en deux temps.
Elle a d’abord retenu que les partenaires sociaux avaient choisi, sans aucune ambiguïté et de manière expresse, de se placer dans le régime de la dénonciation.
Selon elle, l’emploi de formulations juridiquement inadaptées, notamment celle indiquant que « la dénonciation ne correspond pas à la volonté des parties à la négociation, c’est la voie de la signature d’un accord de substitution pour aboutir avant le 1er janvier 2011 qui est choisie », restait sans effet puisque les partenaires sociaux avaient choisi de faire application des dispositions de l’article L 2261-10 du Code du travail.
À notre avis : à notre sens toutefois, la question préalable était de savoir si, compte tenu de cette formulation, on était ou non en présence d’une révision de la convention collective précédente.
Puis, appliquant purement et simplement la règle dégagée en 1997 par la Cour de cassation (voir ci-dessus), elle a considéré que, malgré la volonté des signataires de l’accord de substitution de fixer son entrée en vigueur au 1er janvier 2011, celle-ci ne pouvait pas être effective à cette date et s’appliquer au licenciement du salarié intervenu le 23 février 2011.
L’arrêt est cassé par la chambre sociale de la Cour de cassation. Celle-ci reproche aux juges du fond de ne pas avoir tiré les conséquences de leurs constatations. Pour elle, à partir du moment où les juges avaient reconnu l’existence d’un accord de substitution, ils étaient tenus d’appliquer le régime de la dénonciation prévu par les articles L 2261-9 et L 2261-10 du Code du travail. Or, il résulte de ces dispositions qu’une convention collective dénoncée cesse de s’appliquer dès l’entrée en vigueur de la convention ou de l’accord de substitution.
À noter : la Haute Juridiction semble ainsi considérer que la signature de l’accord de substitution vaut dénonciation.
Cette solution doit être approuvée. D’une part, les partenaires sociaux sont libres de déroger au préavis de 3 mois comme l’article L 2261-9 du Code du travail leur en laisse la faculté.
D’autre part, ni l’article L 2261-10 du Code du travail ni aucune autre disposition légale ne leur interdit de fixer comme ils l’entendent la date d’entrée en vigueur de l’accord de substitution.
… qui conserve tout son intérêt dans le cadre juridique actuel
À notre sens, une telle solution a vocation à s’appliquer au régime actuel de la dénonciation, tel que revu par la loi Travail du 8 août 2016. En effet, en permettant qu’un accord de substitution soit négocié et conclu avant l’expiration du préavis (C. trav. art. L 2261-10 nouveau), le législateur de 2016 n’a fait que consacrer une pratique antérieure, celle qui était en cause dans l’arrêt du 6 juin 2018.
En outre, de la même manière que ce qui prévalait dans le dispositif antérieur, aucune disposition légale n’interdit aux partenaires sociaux de fixer l’entrée en vigueur de l’accord de substitution à une date antérieure à l’expiration du préavis de dénonciation.
Enfin, on remarquera que cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel qui tend à donner aux partenaires sociaux une grande latitude en matière de négociation.
On songe notamment à la jurisprudence rendue dans le cadre juridique antérieur à la loi Travail à propos de l’impossibilité pour un syndicat signataire d’un accord collectif qui a perdu sa représentativité lors du dernier cycle électoral de s’opposer à la révision de l’accord collectif (Cass. soc. 21-9-2017 n° 15-25.531 FS-PBRI : RJS 11/17 n° 757 et Cass. soc. 17-1-2018 n° 17-10.022 F-D).
Documents.
Arrêt du 6 juin 2018
L’accord de substitution peut entrer en vigueur avant la fin du préavis de dénonciation
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