Les sentiments d’isolement, de mal être au travail, de surcharge, de pressions trop fortes peuvent révéler de véritables situations de harcèlement au travail.
Le sentiment d’être manipulé par sa hiérarchie ou par un collègue de travail qui dispose d’une certaine autorité est plus difficile à cerner.
Déjà en 1998, Marie-France Hirigoyen faisait référence au pervers narcissique dans les rapports au travail. ( Pour en savoir plus voir le livre « Le harcèlement moral. La violence perverse au quotidien », éditions Pocket.)
Qui est le pervers narcissique au travail ?
Il s’agit d’une personne qui va user de manœuvres pour conserver son pouvoir, son poste et masquer ses incompétences. Ses outils sont les mécanismes classiques suivants :
culpabilisation,
critique et dévalorisation des autres,
report de sa responsabilité sur eux,
communication floue,
changement fréquent d’opinions,
mensonges
La protection légale contre les actes de harcèlement moral est-elle suffisante ?
L’article L 1152-1 du Code du travail semble, en effet, avoir été rédigé pour lutter contre les pervers narcissiques puisqu’aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Si ces dispositions légales sont utiles pour la défense des victimes, la situation demeure soumise à l’appréciation des juges.
Ainsi, si la jurisprudence a reconnu tel ou tel comportement pervers comme un acte de harcèlement moral, il n’en reste pas moins que d’autres actes ne le sont pas et sont, pourtant, tout aussi destructeurs moralement.
Notre article a pour but de donner des exemples de comportements pervers sanctionnés au titre du harcèlement moral (1) et d’envisager la défense des victimes en s’appuyant sur la violation de l’obligation de résultat d’avoir à préserver la santé des salariés, de l’obligation de loyauté ou de l’atteinte à la vie privée (2) ; et de fournir des moyens de défense sur le terrain pour se préserver et contrer le pervers (3).
Enfin, au-delà des actions classiques de reconnaissance du harcèlement moral, de contestation du licenciement pour inaptitude, de la prise d’acte, de l’action en résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l’employeur, nous avons souhaité envisager deux outils qui pourraient être utilisés face à un pervers narcissique celui du droit de retrait du salarié et celui de l’action en référé pour faire cesser un dommage imminent. (4)
DES COMPORTEMENTS PERVERS DÉJÀ JUGÉS CONSTITUTIFS DE HARCÈLEMENT MORAL PAR LES JUGES
Le pervers narcissique a le plus souvent la main sur le management des équipes, il peut s’agir de l’employeur mais aussi d’un supérieur.
Le lien de subordination est un moyen pour le pervers narcissique d’user d’un pouvoir sur ses subordonnés en mettant en œuvre des méthodes de gestion déstabilisantes.
Les juges ont eu l’occasion de juger que certaines méthodes de gestion pouvaient caractériser un harcèlement (Cass. soc. 10-11-2009 n° 07-45.321 ; 19-1-2011 n° 09-67.463), même si aucune différence de traitement entre les salariés n’est constatée (Cass. soc. 28-3-2012 n° 10-26.363).
Ainsi, à titre d’exemple ont été jugés constitutifs de harcèlement moral des comportements typiques du pervers narcissique :
Le fait de multiplier les critiques négatives, de retirer à la personne des moyens matériels nécessaires à l’accomplissement de ses missions (bureau, téléphone et photocopieur), de l’exclure des réunions techniques, de réduire ses pouvoirs et de minimiser son rôle (Cass. soc. 23 mars 2011, n° 09-68.147 ; Cass. soc. 30 mars 2011 n° 09-41.583 )
Le fait de réduire le rôle de la personne à l’exécution de tâches se limitant à l’archivage et à des rectificatifs de photocopie (Cass. soc. 10 novembre 2009 n° 07-42.849)
Le fait de demander à la personne de se présenter tous les matins au bureau de sa supérieure et de lui attribuer des tâches sans rapport avec ses fonctions (Cass. soc. 27 octobre 2004 n° 04-41.008)
Le fait pour le supérieur hiérarchique d’ouvrir le courrier du salarié et celui de ne pas fournir dans des délais raisonnables les fournitures et les équipements de travail (Cass. soc. 2 juillet 2014 n° 13-10.979)
Le fait de faire des reproches pour des erreurs qui ne sont pas imputables à la personne et de transférer ses responsabilités à une salariée nouvellement embauchée sous contrat de travail à durée déterminée et la contraindre à partager le même bureau (CA Paris 17 septembre 2009 n° 07-977, ch. 6-8, Collot c/ Pellegrini ès qual.).
Le fait d’affecter un salarié à des missions sous-qualifiées, à plusieurs reprises au cours d’une même année (Cass. soc. 29 septembre 2009 n° 08-41.672)
Le fait d’évincer un directeur d’agence des procédures de recrutement de ses propres collaborateurs et des réunions de directeurs d’agence auxquelles ses homologues sont conviés, mise de l’intéressé sous la tutelle d’un autre directeur d’agence usant de procédés vexatoires répétés de contrôle d’activité, d’injonctions et de courriers comminatoires, de menaces réitérées quant à la pérennité de son poste et faisant procéder à une contre-visite médicale dans ce contexte (Cass. soc. 24 mars 2010 n° 07-45.414)
Bien évidemment, ces comportements sont soumis au pouvoir d’appréciation des juges et doivent réunir les conditions posées pour être qualifiés de harcèlement moral.
Peu le sont dans les faits.
D’une part, en raison du fait que le plus souvent la victime a été placée en arrêt maladie et prend conscience de son état une fois sortie de son entreprise.
Elle n’a plus les moyens de se constituer un dossier suffisamment étayé pour obtenir gain de cause auprès du Conseil de Prud’hommes.
D’autre part, les conditions cumulatives sont strictes. Ainsi, la Cour de cassation a rappelé que ne répondait pas à cette définition un acte isolé telle qu’une rétrogradation (Cass. soc. 9-12-2009 n° 07-45.521) ou la simple mise en cause de méthodes de management (Cass. soc. 24-9-2014 n° 13-16.666).
Un comportement qui ne se répète pas ne peut pas être qualifié de harcèlement moral, même si ses effets se poursuivent dans le temps. (Cass. soc. 9 décembre 2009 n° 07-45.521)
Il existe donc de nombreuses victimes qui ne pourront pas être protégées par les dispositions relatives au harcèlement moral.
C’est pourquoi, il sera nécessaire de recourir à d’autres outils juridiques.
DES AGISSEMENTS CONDAMNABLES EN DEHORS DE LA RECONNAISSANCE DU HARCÈLEMENT MORAL.
Certains comportements malintentionnés peuvent porter atteinte à la probité professionnelle, la renommée, l’évolution de carrière, la vie de famille sans pour autant être qualifiés d’actes de harcèlement moral.
Or, en vertu de l’article L 4121-1 du Code du travail, l’employeur est tenu d’assurer la santé et la sécurité physique et mentale des salariés.
Ainsi, si le salarié est victime d’actes de malveillance du pervers narcissique, il pourra alerter son employeur et demander que soit mis un terme aux agissements du pervers narcissique sur le fondement de l’obligation de résultat.
Par exemple, si le salarié a été victime d’une rumeur sans que l’employeur ne prenne la moindre mesure pour la faire cesser, l’employeur doit en réparer les conséquences dommageables. (Cass. soc. 29 septembre 2010 n° 09-41.293)Cet outil juridique suppose la preuve d’un préjudice moral et psychique.
De même, le salarié, victime de formules inutilement blessantes ou vexatoires qui peuvent légitimement atteindre sa sensibilité, pourra invoquer la violation de l’obligation de sécurité.
Cet outil juridique suppose la preuve d’un préjudice moral et psychique.
Un autre outil peut être invoqué face à un pervers narcissique, il s’agit de l’obligation de loyauté qui préside au contrat de travail.
Ceci a été jugé par la Cour de cassation dans l’hypothèse où, l’employeur, après avoir publiquement humilié le salarié lors d’une réunion, s’était comporté de manière déloyale en lui proposant la rémunération qu’il percevait dix ans plus tôt, sans réévaluation, et en ne répondant pas à sa demande d’alignement de salaire sur celui de salariés de même niveau hiérarchique (Cass. soc. 30 novembre 2010 n° 09-41.382).
Un comportement très pervers consistant à donner pour mission à ses collègues de surveiller une salariée a été jugé préjudiciable en ce qu’elle constituait une violation de l’obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail et a porté atteinte à la dignité de l’intéressée. (CA Dijon 1er avril 1997 n° 96-2597, Aubert c/ Flegel-Duda).
Enfin, un autre outil peut être utile à la défense d’une victime du pervers narcissique, il s’agit du droit au respect de la vie privée.
En effet, le salarié a droit, au respect de l’intimité de sa vie privée sur le lieu et au temps de travail. (Cass. soc. 2-10-2001 n° 99-42.942).
Il est donc interdit à l’employeur de s’immiscer dans la vie affective, conjugale ou familiale de ses salariés ou d’intervenir dans leur choix de vie ou de consommation (Cass. soc. 13-1-2009 n° 07-43.282)
Dans les faits le pervers narcissique cherche la moindre occasion de s’immiscer dans votre vie privée pour prendre le contrôle de vos émotions et diriger vos réactions.
LES MOYENS DE FAIRE FAIRE FACE AUX MANIPULATIONS DU PERVERS NARCISSIQUE SUR SON LIEU DE TRAVAIL
Tout d’abord, il est important de formaliser les actes du pervers narcissique pour le déstabiliser et se protéger.
Si vous recevez des ordres et contre ordres ou que vous ne recevez pas de directives claires.
Il est important de clarifier la situation et de reformuler ce qui vous est demandé par écrit en mettant en copie un autre supérieur hiérarchique.
Il faut être très factuel et synthétique.
Si vous devez réaliser en permanence des tâches en urgence le soir et spécialement la veille de week-end.
Vous devez, là encore, le formuler dans un mail en indiquant l’heure à laquelle cela vous a été confié et les raisons avancées par votre supérieur pour que cette tâche soit faite comme par hasard en urgence.
Un autre supérieur hiérarchique doit être informé.
Si on vous fait état d’erreurs importantes le vendredi soir dont on envisage de vous parler en tête à tête seulement le lundi pour vous angoisser sciemment tout le weed-end.
Il convient d’appliquer le même procédé qu’indiqué ci-dessus.
Si l’on vous a fixé des objectifs inatteignables
Il est important de comparer ces objectifs avec ceux des autres collègues et d’alerter sur leur caractère inatteignable en vous basant sur des éléments objectifs et non affectifs.
Si vous faites l’objet de dénigrement
Vous devez demander des précisions pour obliger le pervers narcissique à montrer le caractère disproportionné de ses attaques.
Si vous êtes menacé de diffamation lorsque vous dénoncez vos conditions de travail et une situation de harcèlement moral.
Les articles L 1152-2 et L 4131-1 du Code du travail autorisent expressément le salarié à effectuer une telle dénonciation.
En conséquence, une personne ne peut pas être pénalement poursuivie pour avoir respecté ces prescriptions légales, en application de l’article 122-4 du Code pénal.
Il n’y a donc aucune raison de vous abstenir de dénoncer ces comportements nocifs.
Ensuite, vous pouvez alerter les institutions représentatives du personnel qui ont un rôle de prévention du harcèlement sexuel ou moral, la médecine du travail et l’inspecteur du travail.
LES MOYENS JURIDIQUES PRÉVUS PAR LES TEXTES POUR SE DÉFENDRE CONTRE LE PERVERS NARCISSIQUE
Le droit de retrait du salarié
Un salarié peut, conformément à la loi, se retirer d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.
Ceci ne doit entraîner aucune retenue sur salaire et aucune sanction.
Le licenciement fondé notamment sur l’exercice légitime du droit de retrait d’un salarié sera nul.
Cette possibilité est-elle ouverte aux difficultés psychologiques rencontrées lors de l’exécution du contrat de travail ?
Cette question n’est pas tranchée.
Il est vrai que face à un pervers narcissique il est difficile d’avoir conscience d’un danger grave et imminent puisqu’il s’agit de comportements insidieux.
Or, la faculté donnée au salarié de se retirer de son poste de travail doit être entendue comme un recours exceptionnel lorsque, face à la menace d’un danger sérieux et très proche pour sa propre vie ou sa santé, il n’a pas d’autre moyen pour y échapper.
A notre connaissance, les juges ont fait application du droit de retrait dans l’hypothèse de faits établis de harcèlement moral, générateurs d’un état anxieux réactionnel et médicalement constaté, ont justifié l’exercice du droit de retrait défini à l’article L. 4131-1 du Code du travail. (Cour d’Appel d’Angers, 1er février 2011 n° 09/01852)
La saisine en urgence du juge
L’article R. 1455-6 du Code du travail qui prévoit que :
« la formation de référé peut toujours prescrire les mesures de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite ».
Peut on donc envisager saisir le juge des référés pour faire cesser le comportement du pervers narcissique ?
Pour rappel, le juge ne peut pas, en l’absence de disposition le prévoyant, et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, annuler un licenciement. Lorsque la nullité n’est pas encourue, le juge des référés n’a pas le pouvoir d’ordonner l’arrêt de la procédure de licenciement ni la poursuite du contrat de travail. (Cass. 31 mars 2004, n°01-46960).
Il faut donc que le comportement porte atteinte à une liberté fondamentale telle que visée par l’article L. 1121-1 du Code du travail qui vise le droit à une vie familiale normale, la liberté d’expression, les libertés d’exercer une activité professionnelle.
D’autres textes prévoient la nullité et peuvent justifier l’intervention du juge des référés.
Ce sera notamment le cas dans l’hypothèse où le licenciement est manifestement nul en raison du fait que le salarié a été licencié parce qu’il a dénoncé des faits de harcèlement moral, le juge peut ordonner la poursuite du contrat de travail.
Saisir le juge des référés face à un pervers narcissique suppose que son comportement porte atteinte à une liberté fondamentale ou soit constitutif de harcèlement moral.